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Klein, Raymond : Au-delà du non

Que le non à la Constitution conduise à un repli nationaliste et à l’arrêt de la construction européenne n’est pas une fatalité. A condition que les partisans du « oui critique » acceptent de rechercher une nouvelle majorité pour un projet européen de gauche.

La nouvelle situation créée par les non français et néerlandais au projet de Constitution européenne est présentée par une partie de la gauche comme une crise salutaire. A celles et ceux qui sont attachés à l’idée de la construction européenne, cette crise doit pourtant apparaître comme un virage dangereux. Leur angoisse est qu’en cas de dérapage, le projet européen dans son ensemble aille droit dans le mur.

En effet, le risque est réel que le camp du oui continue à se resserrer autour du projet de Constitution « le seul possible » et « à prendre ou à laisser ». En face, le camp du non pourrait se montrer incapable de s’accorder sur une perspective européenne, chaque sensibilité nationale et politique se rabattant sur ses revendications particulières. La construction européenne apparaîtrait alors comme un projet exclusivement porté par ceux qui l’ont marqué de leur empreinte depuis des décennies : les courants libéraux des partis conservateurs, des sociaux-démocrates et accessoirement des écologistes.

Cependant, regretter le double non, appeler à voter oui au référendum luxembourgeois afin de « sauver l’Europe », serait raisonner de manière superficielle. Les risques d’effondrement du projet européen ne sont pas causés par le non au référendum. La crise de légitimité des institutions, menant des politiques déconnectées des débats publics dans les sociétés européennes, aurait éclaté tôt ou tard.

Les partisans du oui font preuve de mauvaise foi quand ils accusent ceux du non de tous les maux : nationalistes et égoïstes, fossoyeurs de l’Europe, insensibles à la dimension historique. Quel pire exemple d’égoïsmes nationaux que le poker autour du budget de l’Union européenne ? Et que penser de l’appel de la classe politique luxembourgeoise de voter oui, « au nom de l’intérêt du Grand-Duché » ?

Le rejet d’une Constitution perçue comme servant à entériner une Europe libérale, n’est qu’une conséquence tardive du choix des élites européennes de s’engager dans cette voie libérale. Si quelqu’un doit avoir des regrets, ce sont les sociaux-démocrates, les sociaux-chrétiens et les écologistes : ils se sont alliés aux libéraux pour promouvoir l’Europe du marché. Il est vrai qu’il y a vingt ans encore, trouver une majorité de gauche pour faire avancer la construction européenne n’avait rien d’évident - l’euroscepticisme et le repli souverainiste dominaient à gauche de la social-démocratie. D’où l’idée d’imiter l’exemple des pères fondateurs : faire avancer l’Europe économique dans l’espoir que l’Europe sociale et politique suivrait. Le contenu du texte constitutionnel, deux décennies plus tard, montre que cette idée a fait long feu.

Enfin, comment légitimer une Constitution qui n’apparaît pas vraiment comme un acte fondateur ? Elle ressemble plus à un bouche-trou face aux complications institutionnelles engendrées par l’élargissement à l’Est. Et le fait d’inclure la partie 3 - version consolidée des traités passés - conduit nécessairement à des consultations populaires sur la construction européenne telle qu’elle a eu lieu jusqu’ici, et non à l’appréciation d’un projet d’avenir contenu dans la Charte des droits fondamentaux.

Si une autocritique s’impose du côté du « oui critique » - le oui au nom de valeurs progressistes -, le « non de gauche » ne doit pas pour autant céder à l’autosatisfaction. Des électrices et électeurs de gauche ont voté non parce qu’ils ont eu peur des « plombiers polonais » ou de l’adhésion de la Turquie. Cela montre qu’il y a un travail pédago-gique à faire. Et d’abord, du côté des groupes politiques qui ont mobilisé pour le non, des positions de principe très claires à énoncer : oui, ces pays ont leur place dans l’Union européenne, à condition de remplir les standards en matière de droits humains. Quant au risque de dumping social, il ne peut être réglé en fermant les frontières, mais en relevant les standards sociaux, le niveau de vie et la productivité dans les pays adhérents. Ce qui ne peut se faire sans un sérieux coup de pouce - sur base des fonds de soutien européens, regonflés par une augmentation des contributions des pays prospères d’Europe de l’Ouest.

Suite au rôle qu’a joué la France dans le processus en cours, le danger serait de penser un contre-projet à la Constitution européenne uniquement sur base des valeurs qui ont cours dans l’Hexagone. L’idée de vouloir imposer la laïcité républicaine de l’Atlantique à l’Oural laissera perplexes les progressistes des autres pays. Quant au service public « à la française », il mérite sans doute d’être défendu. Mais pour élaborer un contre-projet européen, les expériences des autres pays en la matière ne devraient pas être négligées.

Enfin, pour que le non aboutisse à quelque chose de constructif, il faudra que la gauche qui l’a porté accepte un principe : des compromis sont nécessaires. En effet, les partisans du non ont raison : le fait que le projet de Constitution n’est pas à cent pour cent idéal ne suffit pas pour le rejeter. Là où ils trichent, c’est quand ils appellent à l’accepter parce qu’il signifierait une amélioration. Il est tout à fait légitime de rejeter un texte, même s’il comporte des améliorations, parce qu’on juge que celles-ci ne vont pas assez loin. En politique, pouvoir dire non et pouvoir dire oui sont des options également importantes.

C’est ainsi qu’une nouvelle alliance est possible : celle du non de gauche avec le oui critique, autour d’un idéal européen progressiste. Au-delà de la réorientation des politiques européennes en cours, cette alliance devrait conduire à un projet de constitution alternatif. En vertu du principe de compromis, ce projet ne pourra répondre à tous les voeux de ceux et celles qui aujourd’hui défendent le non. Mais il comporterait une partie 1 allant plus loin en matière de contrôle démocratique et une Charte des valeurs revue pour être plus sociale. Sans doute écarterait-il aussi la partie 3 du texte.

Au vu des chambardements qui s’opèrent actuellement dans plusieurs pays européens, il y a une bonne chance qu’un tel projet trouve une majorité dans l’ensemble des pays membres. L’Angleterre constitue sans doute un cas à part, mais le parti travailliste ne pourra pas refuser une Constitution soutenue par ses partis frères parce qu’elle serait « trop sociale ». Il est néanmoins possible qu’une Constitution plus progressiste ne parvienne pas non plus à s’imposer dans les années qui viennent. Mais dans les deux cas, adoption ou échec d’un texte alternatif, il y aura eu un changement de perspective historique. En effet, à travers la mobilisation autour d’une Constitution progressiste, le projet européen sera devenu un projet de gauche. La crise aura été salutaire.

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