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Fayot, Ben : Oui à la Constitution Européenne !

forum 245 [1] a publié une diatribe contre la Constitution européenne, une dont il faut analyser les affirmations en détail.

1. « L’élaboration de la Constitution n’a pas dérogé au fonctionnement habituel de l’Union européenne. »

C’est faux. Ce texte a été élaboré dans un processus ouvert par une assemblée de 105 membres (ou 210 avec les suppléants), en contact étroit avec la société civile, des ONG, des acteurs économiques et sociaux. Il est faux d’affirmer que « l’élaboration du projet de Constitution a été menée au sommet, sans consultation ou même information des citoyens ». Jamais encore un traité n’a été élaboré de façon aussi transparente et démocratique. Il faut croire que les auteurs sont passés à côté de ce qui s’est fait et dit de décembre 2000 à octobre 2004 en Europe, dans la presse internationale, sur Internet, dans les parlements nationaux comme au Parlement européen. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls, car la plupart des défenseurs du « non » ont découvert le sujet sur le tard.

Cette Convention a été instaurée par les chefs d’Etat et de gouvernement, dont elle a reçu un certain nombre de mandats lors du sommet de Laeken en décembre 2001. Mandats publics connus de tous auxquels personne n’a trouvé à redire parce que c’étaient les bonnes questions sur l’Europe. A relire encore maintenant sur Internet.

Que propose-t-on à la place de la Convention ?
« L’élection au suffrage universel d’une Assemblée constituante représentant la diversité des opinions et préférences partisanes des peuples. » Comme si l’Europe était un Etat fédéral, alors qu’elle n’est qu’une union d’Etats indépendants qui veulent le rester, créée sur la base de traités à adopter à l’unanimité par tous les Etats membres. Le pouvoir constituant est aux mains des gouvernements qui, eux, sont légitimés par leurs peuples à travers les élections nationales. On peut certes regretter que le « peuple européen » ne se soit pas encore réveillé, mais il faut accepter que pour le moment, la construction européenne passe par les gouvernements nationaux. C’était jusqu’ici le seul moyen d’avancer ensemble, et ce moyen a permis de construire un formidable espace de paix et de prospérité ces dernières cinquante années.

2. La « constitutionalisation du libéralisme »

On affirme que l’objectif fondamental de l’Union européenne, c’est le marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée. [2] Cette présentation est tout simplement malhonnête, voire mensongère. Le lecteur qui se fie à de tels auteurs est induit sciemment en erreur. L’article I-3 auquel il est fait allusion comporte cinq paragraphes, tous également importants pour délimiter les finalités de l’Union européenne. Ledit marché intérieur « où la concurrence est libre et non faussée » n’en est qu’un parmi un tout, dont la paix, le développement durable, le progrès social, le progrès scientifique et technique.

Il est vrai, certes, que l’Union européenne est une union d’Etats à économie de marché, donc à économie libérale. Il est vrai aussi que la concurrence dans ce marché doit être libre et non faussée par les cartels, les monopoles et autres positions dominantes. Cette Union européenne s’est construite par opposition à l’économie communiste, économie étatisée qui a fait faillite en 1990 et que les Etats d’Europe de l’Est ont fuie à grands pas dès que le grand frère soviétique leur en a laissé la liberté. Mais il n’est pas étonnant que les communistes d’aujourd’hui et des nostalgiques de l’économie d’Etat - qui n’ont évidemment pas vécu le « socialisme réel » - y restent toujours attachés.

Peut-on dans ce contexte rappeler que la Constitution luxembourgeoise a également inscrit « dans le marbre » le libéralisme, comme aiment à dire les adversaires de la Constitution européenne. On y trouve en effet que « la loi garantit la liberté du commerce et de l’industrie » (article 11), à côté de toute une série d’autres droits destinés à construire une société libre et prospère, comme dans la Constitution européenne.

3. La question des services publics

Essayons de dégager à ce propos les questions essentielles qui d’ailleurs ne sont pas nouvelles, car elles se trouvent pour la plupart déjà dans les traités existants.

Premier problème : la Constitution désigne les services publics par le terme de « service d’intérêt général ». Nos auteurs affirment que cette notion est « d’inspiration anglo-saxonne » - horribile dictu - alors que le terme est déjà utilisé par l’Europe depuis 1957 ! Il dit bien ce qu’il faut exprimer.

La France et quelques autres pays parlent de « services publics », alors que la plupart des autres pays ne connaissent pas ce terme. A côté de la France jacobine et républicaine, terre des anciens monopoles étatiques juteux pour l’Etat, mais souvent moins agréables et plus chers pour les consommateurs, les tâches d’intérêt général sont remplies d’une autre façon dans de nombreux Etats membres. Ces Etats n’en sont pas moins civilisés et n’en offrent pas moins de commodités à leurs citoyens, même parfois plus. Quant aux pays de l’Europe de l’Est, ils n’aiment pas le terme de « service public », parce qu’il leur rappelle des souvenirs de services inefficaces, incommodes, terriblement chers. Là, comme souvent, il faut trouver un compromis européen : sauvegarder le service public, le rendre performant, l’adapter aux besoins du jour. Nous sommes encore quelques-uns à nous rappeler qu’il fallait autrefois six mois, voire plus, et même de la protection pour avoir un raccordement téléphonique chez soi.

Deuxième problème : celle des compétences. Nos auteurs disent : « Si l’éducation et la sécurité sociale continueront à relever pour l’essentiel des Etats nationaux, l’existence même de la plupart des services publics est menacée à terme (postes, télécommunications, transports, énergie). »

L’Union européenne n’a pas de compétence législative en matière d’éducation. Elle peut tout juste encourager la coopération entre les Etats membres, appuyer ou compléter leur action (Art. III-282). Pour ce qui est de la sécurité sociale, l’Union « établit les mesures nécessaires pour réaliser la libre circulation des travailleurs » (Art. III-136). Dans le domaine de la politique sociale, l’Union et les Etats membres « ont pour objectifs la promotion de l’emploi, l’amélioration des conditions de vie et de travail, permettant leur égalisation dans le progrès, une protection sociale adéquate, le dialogue social, le développement des ressources humaines permettant un niveau d’emploi élevé et durable, et la lutte contre les exclusions » (Art. III-209). L’Union peut « établir des prescriptions minimales » dans tous ces domaines (art. III-210). Mais il est vrai que les Etats membres rechignent à abandonner des éléments de souveraineté à l’Union pour faire une politique sociale plus efficace.

Par contre, les transports font l’objet d’une politique commune (Art. III-236). En ce qui concerne l’énergie (Art.III-256), l’Union vise « à assurer le fonctionnement du marché de l’énergie, [...] la sécurité de l’approvisionnement énergétique [...] et à promouvoir l’efficacité énergétique et les économies d’énergie ainsi que le développement des énergies nouvelles et renouvelables ».

Quant aux postes et télécommunications, ces domaines font partie du marché intérieur et suivent les règles établies pour ce marché, tout en devant se soumettre à des impératifs de « service universel ». Cela, c’est un vrai bidule anglo-saxon qu’il faut garder attentivement à l’œil.

Troisième problème : faire reconnaître et établir les règles pour les services publics. Il n’est pas vrai, comme l’affirment les auteurs de forum, que la Constitution va entraîner « la paupérisation des services publics ». Là où les services publics sont exposés à la concurrence, ils se défendent très bien. Ils sont performants, ils dégagent des bénéfices et vont continuer à le faire, à condition que soit créé le cadre qui sauvegarde leurs missions d’intérêt général. Les P & T luxembourgeoises ne sont pas sur la voie de la paupérisation ! La SNCFL non plus, à voir les efforts que l’Etat luxembourgeois fait et va faire pour développer le rail.

D’ailleurs, les aides resteront possibles : pour le transport p.ex., « sont compatibles avec la Constitution les aides qui répondent aux besoins de la coordination des transports ou qui correspondent au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public » (Art. III-238).

Question de méthode : plus généralement, le jugement sur la Constitution ne peut pas consister en une démonstration qui sort le bout de phrase qui convient au propos. La lecture est sans aucun doute complexe et compliquée. Ainsi, il faut mentionner, à côté des valeurs et des objectifs de la partie I, des droits fondamentaux dans la partie II, les dispositions d’application générale en début de la partie III : développement durable, protection des consommateurs, protection sociale.

L’article III-122 donne pour la première fois, d’ailleurs obtenue après d’âpres discussions à la Convention, une base juridique pour une loi européenne sur les services d’intérêt général, ce qui constitue une avancée majeure et permettra de garantir un financement et des règles précises pour ces services. Ce sera évidemment l’enjeu d’un engagement politique important. Il faut espérer que dans cet engagement, les grands défenseurs des services publics de la gauche française feront preuve de la même énergie et de la même détermination que dans leurs luttes contre la Constitution. Car ce sont eux justement qui, dans le passé, ont le plus péché par absence et manque de souffle quand il s’agissait de législation européenne, tâche ardue et difficile qui ne se résume pas à quelques formules à l’emporte-pièce sur le libéralisme !

4. « Le dumping social et fiscal »

À ce propos, les auteurs de forum flagellent l’unanimité dans le domaine fiscal et social.

Pour ce qui est de la fiscalité, l’Union étant une institution à compétences attribuées (c’est-à-dire qu’elle ne peut exercer que les compétences que les Etats veulent bien lui attribuer), et comme les Etats ne sont pas prêts à abandonner leur souveraineté en matière de fiscalité, je ne vois pas où le raisonnement des tenants du « non » mène. Dans le passé, je n’ai jamais entendu aucun tenant de la gauche ou de l’extrême gauche française plaider pour donner à l’Union une compétence, ne fût-ce que partagée, dans ce domaine.

Quant au domaine social, la question se pose de la même façon. Certains Etats membres refusent d’abandonner l’unanimité en matière sociale de peur du moins-disant social, d’autres parce qu’ils craignent un niveau social trop élevé. Là encore, ceux qui crient le plus fort contre la Constitution, on ne les a jamais entendus demander des transferts de souveraineté dans ces domaines ! Par ailleurs, les syndicats des travailleurs qui oeuvrent dans ce domaine de compétence depuis de longues années connaissent bien les difficultés pour arriver à des compromis entre eux.

5. Les droits fondamentaux

La Charte des droits fondamentaux est pour nos auteurs soit de la mise en scène, soit un instrument dangereux.

Il est vrai que la Charte des droits fondamentaux ne s’exerce que dans le cadre des compétences attribuées à l’Union. Par ailleurs, les Etats membres gardent leurs droits constitutionnels dans tous les domaines qui sont de leur compétence. Mais la Charte n’en est pas moins un corpus complet qui encadre l’action de l’Union.

La Charte serait-elle dangereuse parce que le droit à la vie « risque d’être instrumentalisé par des catholiques intégristes pour remettre en cause le droit à l’avortement », alors que la Charte ne contient pas le droit à l’avortement ? J’ai entendu cela de la part de M. Emmanuelli, éminent promoteur du « non » qui a malheureusement oublié que l’Union n’a pas de compétence en la matière.

On regrette encore que la Charte ne contienne pas le droit au divorce comme si c’était là un empêchement pour les Etats membres de l’introduire s’ils le veulent.

***

Il est difficile, en lisant cet article de deux jeunes intellectuels, de ne pas se poser de question. Leurs visions apocalyptiques leur font conclure que si la Constitution était approuvée, « nous mériterons alors de vivre à genoux ».

Je ne sais pas comment ils ont pu vivre les deux ou trois premières décennies de leur vie qui se sont déroulées sous le régime de la plupart des dispositions qui se retrouvent dans la Constitution. Mais je n’ai pas l’impression qu’ils les ont vécues « à genoux ». Ils les ont vécues en liberté, ils ont pu voyager librement, faire leurs études là où ils ont choisi de les faire, lire les livres qu’ils ont choisis eux-mêmes et s’amuser à leur guise. C’est aussi grâce à l’Europe qu’ils ont pu vivre ainsi, c’est parce que leur patrie avait enfin, après de terribles épreuves durant deux guerres mondiales, assuré sa liberté, son indépendance, sa richesse grâce à l’intégration européenne.

Pour qu’ils puissent continuer à vivre ainsi, il faut se battre pour la Constitution. C’est un compromis nécessaire et utile pour construire une Europe en paix, libre et prospère, juste et égale.

[1] Michel Erpelding, Adrien Thomas : L’Europe à la sauce néolibérale. forum, n° 245, avril 2005

[2] Le texte de l’article dit : « Un "marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée" est érigé en objectif fondamental de l’Union européenne. » (art. I-3-2)

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