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Weber, Raymond : La place de la culture dans le Traité constitutionnel

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Disons-le tout de suite : la place de la culture dans le Traité constitutionnel est des plus réduites :
-  dans le Préambule, on s’inspire des « héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe » et l’on se déclare « convaincus que l’Europe (...) veut demeurer un continent ouvert à la culture, au savoir et au progrès social » ;
-  dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union (Partie II du Traité constitutionnel), seuls trois articles font référence à l’art et à la culture : l’article II-73 affirme la liberté des arts et de la recherche scientifique et l’article II-82 précise que « l’Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique ». Quant à l’article II-85, il reconnaît aux personnes âgées le droit de « participer à la vie sociale et culturelle » ;
-  enfin, dans la partie III concernant les politiques et actions internes, l’article III-280 reprend pratiquement tel quel l’article 128 du Traité de Maastricht (1992) qui dit, entre autres, que « l’Union contribue à l’épanouissement des cultures des Etats membres (...) tout en mettant en évidence l’héritage culturel commun » et précise que « l’Union tient compte des aspects culturels dans son action au titre d’autres dispositions de la Constitution ».

En résumé : pratiquement rien sur la culture dans le Préambule (où, il est vrai, un éventuel débat culturel a été complètement phagocyté par la question des « racines chrétiennes » de l’Europe), un « service minimal » culturel dans la Charte et le statu quo dans la 3e Partie, où la culture reste du « 3e domaine » : ni compétence exclusive de la Commission, ni compétence partagée (entre la Commission, le Conseil et le Parlement), mais simplement domaine d’action d’appui, de coordination ou de complément (des politiques nationales des Etats membres).

Pourtant, les appels n’ont pas manqué tout au long du travail de la Convention européenne pour demander qu’une plus grande place soit accordée à la culture dans le Traité constitutionnel. Citons-en deux :

Dans une « Lettre ouverte à la Convention européenne », Richard von Weizsäcker, Jacques Delors, Bronislaw Geremek, Arpad Göncz, Andrëi Plesu et d’autres ont écrit : « l’Europe de demain a besoin d’une politique culturelle qui puisse judicieusement compléter les politiques nationales des Etats membres - une politique culturelle de diversité et de points communs, de particularités et de similitudes, méritant nos efforts et nos ressources au même titre que les politiques économiques et sociales tant vantées ».

Le 4e Forum des Autorités locales de Porto Alegre pour l’inclusion sociale (Barcelone, mai 2004), dans son « Agenda 21 de la Culture », demande à l’UE de faire figurer la culture comme pilier central de sa construction : « Dans le respect des compétences nationales et du principe de subsidiarité, une politique culturelle fondée sur le principe de légitimité de l’intervention publique dans la culture, sur la diversité, la participation, la démocratie et le travail en réseau est nécessaire ».

L’UE devra-t-elle avoir une politique culturelle ?

Jusqu’ici, la culture reste manifestement une « priorité négative » au niveau de l’Union européenne et toute « politique culturelle » reste impossible : on ne parle que d’« action culturelle » et de « programmes » (comme le programme « Culture 2000 »).

Pourtant, plusieurs arguments plaident aujourd’hui pour la mise en place progressive d’une politique culturelle européenne :

-  les défis de la mondialisation/globalisation et de la Société de l’Information et de la Communication exigent non seulement des réponses économiques et politiques, mais aussi sociales et culturelles ;
-  la question de la diversité culturelle. Le danger d’un « clash des civilisations » (Samuel Huntington) sera combattu le plus efficacement non par les armes, mais par le dialogue interculturel et par le dialogue entre les religions ;
-  le Traité constitutionnel fait de l’Europe une communauté de destin, fondée sur des valeurs : « l’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’Etat de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes » (article I-2).

Au-delà de cette affirmation d’un corpus de valeurs, il convient de signaler que « l’Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales » (article I-9). Or ce texte de Convention du Conseil de l’Europe ouvre à toute une série d’autres droits, notamment dans les domaines culturel et éducatif ;
-  une Union, préconisant la « citoyenneté européenne », qui vient d’accueillir 10 nouveaux pays membres et qui voudrait rester ouverte à d’autres candidatures, doit se poser les questions de son identité, de ses frontières, de son « pour quoi ? » ;
-  enfin, une Union qui veut nouer des partenariats forts avec d’autres régions du monde et développer sa politique étrangère et de sécurité commune doit se définir, vis-à-vis de ses partenaires, autrement que comme « marché commun » et comme « espace Schengen ».

Pour répondre à tous ces enjeux, nous avons besoin d’intégrer le nouveau « paradigme culturel » (Alain Touraine) dans la construction européenne, de donner à la culture une nouvelle « centralité » et de définir, enfin, une politique culturelle européenne fondée sur des valeurs et sur les droits culturels.

Certes, l’ensemble des droits et libertés culturels, tel qu’il figure dans le Traité constitutionnel, reste malheureusement sous-développé concernant les droits culturels proprement dits. Il permet néanmoins de constituer un fondement suffisant pour définir une politique culturelle européenne, partant de valeurs et contribuant à définir une nouvelle éthique culturelle, en récréant, de manière permanente, des liens vivants et dynamiques entre acteurs, libertés et institutions culturelles.

Une telle politique (dont la définition sortira, grâce au Traité constitutionnel, du carcan bloquant de l’unanimité) ne serait nullement en concurrence avec les politiques culturelles nationales, fondées, quant à elles, sur des objectifs d’offre et de demande culturelles. Elle viserait essentiellement à garantir le respect des droits et libertés culturels, à renforcer les structures de débat public, à promouvoir les synergies entre acteurs culturels : publics, privés et civils, à favoriser non seulement la mobilité et les échanges, mais surtout la coopération entre cultures, disciplines et acteurs différents et à suivre une stratégie d’habilitation (empowerment) des acteurs culturels, notamment des réseaux culturels et des acteurs les plus fragiles (minorités).

En tablant sur la création d’une « plus-value » culturelle et européenne, la politique culturelle européenne pourrait donner à l’Europe un nouveau souffle, une nouvelle dynamique, tant vers l’intérieur (p.ex. dans le processus de Lisbonne) que vers l’extérieur.

Raymond Weber
L’auteur est professeur au Collège d’Europe à Bruges et directeur de Lux-Development.

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