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Klein, Raymond : Un non évolutif

Agacé par les discours de certains partisans du non, je voterai néanmoins avec eux. Au nom d’une idée généreuse de l’Europe, trahie par un texte constitutionnel ringard.

Ils sont fous, ces Gaulois. A entendre certains partisans du Non à la Constitution européenne, il s’agirait de protéger la laïcité contre les hordes catholiques, d’opposer aux prophètes du néolibéralisme le service public à la française. L’Europe égarée ne pourrait être sauvée que par le génie français. D’ailleurs, sur la question de l’adoption de la Constitution, on distinguerait aisément les quelques vraies démocraties de toutes ces affreuses dictatures qui refusent de recourir au procédé du référendum. A cet égard, le Luxembourg peut trouver grâce aux yeux des dépositaires du républicanisme. Encore que, ne manquent de remarquer les plus intégristes d’entre eux, le référendum luxembourgeois n’a qu’un caractère consultatif.

Merci pour la leçon, mais c’est oublier que la culture politique de certains pays, pour des raisons historiques et dans un souci démocratique - qu’on le juge approprié ou non -, a pris ses distances avec les mécanismes de démocratie directe. C’est aussi occulter le fait qu’il existe d’autres modèles d’intégration des religions que la laïcité, qui ne conduisent pas automatiquement à un régime théocratique. C’est oublier enfin que, si certains volets du service public ont une longue tradition en France, pour d’autres, comme la gestion de l’eau, l’hexagone a été un laboratoire de la privatisation.

Cependant le nombrilisme n’est pas l’apanage des partisanes et partisans du non. Mettre les mérites et les intérêts de la France au centre du débat, c’est ce que font également les partisans du oui, quand ils expliquent que c’est "Paris" qui a obtenu telle concession dans le domaine social, telle avancée dans la démocratisation des institutions. Et que le crédit que les négociateurs français ont mis dans la balance serait définitivement perdu en cas de non. A croire que les enjeux sociaux et démocratiques ne seraient pas compris par les citoyennes et citoyens des autres pays membres. L’esprit très franco-français dans lequel se déroule le débat autour du référendum sur la Constitution européenne ressemble à celui qui prévalait lors du débat autour de la ratification du Traité de Maastricht en 1992. Ce qui a radicalement changé, c’est l’argumentation de ceux qui, au nom d’idéaux de gauche, plaident pour le non.

A l’époque, il s’agissait surtout d’eurosceptiques, voire de souverainistes. Les eurosceptiques rappelaient les nuisances induites par la construction - notamment la rigueur monétaire qui allait être perpétuée par l’instauration d’une banque centrale européenne. Est-il bien nécessaire de poursuivre la construction européenne, surtout si c’est de cette Europe-là qu’il s’agit ?, finissaient-ils par demander. Quant aux souverainistes - de gauche -, ils affirmaient que l’Europe était un édifice artificiel au service des élites et non des peuples. Pour aller vers plus de démocratie et de justice sociale, une seule structure convenait à leurs yeux : l’Etat-nation traditionnel.

Aujourd’hui, si les critiques demeurent, la conclusion est différente : plutôt que de remettre en question la construction européenne, les partisans du non réclament "une autre Europe". Quant aux souverainistes, ils se retrouvent sur la défensive. Le livre publié par André Bellon, ancien député socialiste et souverainiste convaincu, est significatif à cet égard : "Pourquoi je ne suis pas altermondialiste - Eloge de l’antimondialisme" explique que la mondialisation est un concept dépassé et qu’il est nécessaire "de retrouver une identité politique" à l’échelle de la nation. Cette position, très commune en 1992, que continue à défendre courageusement Bellon, est aujourd’hui très minoritaire à gauche.

"Notre non est profondément européen", affirme Jacques Nikonoff, président d’Attac-France. Ce n’est peut-être pas vrai pour le détail de l’argumentation, trop hexagonal. Mais cela n’empêche pas les alter-Européennes et -Européens des autres pays de l’Union de suivre avec enthousiasme le débat français. Leurs critiques, les inquiétudes, les espoirs se ressemblent du Portugal jusqu’en Estonie.

Certes, l’écho rencontré par l’appel au refus de la Constitution varie fortement entre les pays. C’est que les différences d’appréciation, à gauche, se situent moins au niveau du texte qu’à celui de son sens dans le cadre de la construction européenne. La militarisation de la politique étrangère mise à part, la Constitution contient de nombreuses avancées - petites, mais réelles -, comme les traités qui l’ont précédée. En général, les partisans du non ne contestent pas cela. Tout comme ceux du oui concèdent désormais que "ce n’est pas un texte idéal".

Le désaccord entre gens de gauche porte sur la question s’il faut apporter son soutien aux légers progrès au niveau du texte ou bouder un traité constitutionnel qui n’est pas à la hauteur. Les manques les plus graves se situent au niveau du social et du politique. Une harmonisation des politiques et des normes sociales n’est pas en vue, car le social reste affaire des Etats membres. Dans une situation de mise en concurrence des marchandises et des services, cela engendre forcément un nivellement vers le bas des conditions de travail de ceux et de celles qui les produisent.

Quant au volet politique, le Parlement européen demeure un parlement d’opérette, privé de la plupart des fonctions législatives. L’idée d’un gouvernement européen, disposant d’un budget conséquent, ne se retrouve pas non plus dans le texte de la Constitution. Or ces demandes, même si elles ne peuvent être satisfaites du jour au lendemain, ne sont pas des utopies, mais des nécessités. D’ailleurs cela fait vingt ans que des gens comme Jacques Delors répètent qu’en réalisant l’Europe économique et monétaire, on finirait par rendre indispensable l’Europe sociale et politique. Aujourd’hui il en est à expliquer que "la Constitution n’interdit en rien de telles avancées".

Pour celles et ceux qui suivent la construction européenne d’un oeil bienveillant mais critique, il y a de quoi se sentir dupé. S’il ne s’agissait que d’un autre traité, l’idée de se satisfaire d’un autre compromis paraîtrait envisageable. Mais le moment où l’Union européenne se dote d’une constitution est le moment de faire les comptes. Là où on pouvait s’attendre à un grand pas en avant, on ne trouve que des avancées minimes. En ce sens, le non exprime clairement le désir d’une autre Europe.

"On ne peut pas voter non", expliquent les partisans du oui. Ce serait voter contre l’Europe et non pour une autre Europe. Les négociations autour de la Constitution, menées par les gouvernements au nom des citoyens, auraient donné le meilleur compromis possible.

Interdit de voter non ? On peut se demander pourquoi on organise alors un référendum. Pas besoin de se laisser guider, lors du vote, par des considérations sur d’hypothétiques rapports de force en Europe. Exprimons simplement notre avis de citoyennes et de citoyens sur le contenu de la Constitution. On verra alors si ce texte de compromis convient vraiment à celles et ceux au nom desquels il a été élaboré.

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