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Moyse, François : La Charte européenne des droits fondamentaux et son application en droit luxembourgeois : une avancée modérée pour les droits de l’homme

En date du 18 février 2005, le Ministre des Affaires étrangères et de l’immigration Monsieur Jean Asselborn a déposé au greffe de la Chambre des députés le projet de loi 5442 portant approbation du traité établissant une constitution pour l’Europe signée à Rome, le 29 octobre 2004. Par ces quelques mots communiqués par la chambre des Députés à la presse, on a pu apprendre que le chemin de l’adoption de la constitution européenne, prévue par référendum le 10 juillet 2005, était en route.

La Constitution européenne est un terme trompeur. S’il s’agit d’un terme véritablement symbolique et si le texte revêt la forme d’une constitution, il n’en demeure pas moins que le texte signé à Rome demeure fondamentalement un traité international. Ce texte définit les compétences et les pouvoirs des différentes institutions de l’Union. Sur un plan technique, il peut donc être qualifié de constitution, tout comme d’autres textes fondateurs d’organisations internationales [1].

En droit luxembourgeois, il est admis depuis plusieurs décennies par les tribunaux qu’un traité international prime le droit national. Si la Constitution européenne est approuvée par référendum, elle liera le Luxembourg ainsi que ses tribunaux. Aucune loi ne pourra heurter dès lors ce texte.

Une partie de cette Constitution contient la Charte européenne des droits fondamentaux. Cette charte a été adoptée en l’an 2000, grâce à une méthode nouvelle, la convention européenne.

Le résultat est un nouvel outil de protection des droits de l’homme, qui devrait être encore plus performant que l’actuelle Convention Européenne des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (ci-après, la « CEDH »).

Jusqu’à présent, la protection des droits de l’homme était essentiellement assurée par la Convention européenne des droits de l’homme. Faut-il rappeler que cette Convention émane du Conseil de l’Europe, institution regroupant 45 pays à l’heure actuelle et dont le siège se trouve à Strasbourg ? La Convention a été introduite dans l’ordre juridique interne luxembourgeois dès le 3 septembre 1953 [2].

Depuis lors, il a été affirmé clairement par les juridictions luxembourgeoises que la Convention était d’application directe en droit de luxembourgeois, à l’instar d’autres textes de droit international (les traités), du moment que leur contenu est assez clair et précis. Cela veut dire que n’importe quel citoyen peut invoquer un des articles de la Convention directement devant le juge, que ce soit le juge pénal, le juge civil, le juge commercial etc...

En cela, le Luxembourg diffère d’un Etat comme le Royaume-Uni, qui connaît un système dualiste et non moniste. Dans certains pays en effet, tels que le Danemark, l’Irlande, la Norvège ou la Suède, la Convention ne fait pas partie du droit interne [3]. Le Royaume-Uni a, quant à lui, incorporé dans son droit interne, par le Human Rights Act de 1998, les articles 2 et 14 de la CEDH ainsi que son protocole n°1, de sorte que les tribunaux nationaux doivent actuellement appliquer la CEDH comme l’interprète la Cour Européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg.

Il ne suffit cependant pas de constater que la Charte est plus complète que la Convention. Encore y a-t-il lieu de vérifier si ladite Charte couvrira un champ d’application aussi large. Or tel n’est cependant pas le cas.

La Charte européenne des droits fondamentaux figure dans la partie II de la constitution européenne, laquelle partie est consacrée entièrement à celle-ci. Elle comporte un préambule et commence par proclamer l’inviolabilité de la dignité humaine (article II-61), pour en terminer avec la proclamation de l’interdiction de l’abus de droit (article II-114), dans un ordonnancement somme toute logique.

Son contenu est plus large que celui de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dans la mesure où la Charte des droits fondamentaux de l’Union ne se limite pas aux droits civils et politiques, mais couvre également d’autres droits et principes comme les droits sociaux des travailleurs, la protection de la santé, la protection de l’environnement, la protection des consommateurs, la protection des données personnelles ou les droits de l’enfant, des personnes handicapées et des personnes âgées.

Il s’agit donc d’un texte de droit communautaire, comme l’on dit couramment. Contrairement à la CEDH qui émane du Conseil de l’Europe sis à Strasbourg, la Charte relève du droit de l’Union européenne, regroupant les 25 pays membres.

Contrairement à la CEDH, la Charte n’a pas non plus vocation à s’appliquer en toute circonstance. Elle est enfermée dans la logique même du droit européen, qui ne s’applique que dans certaines conditions.

Certes, depuis longtemps la primauté du droit communautaire est reconnue par rapport au droit national, depuis l’arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes, Costa c. ENEL du 15 juillet 1964, qui évoquait un ordre juridique propre, suivant en cela l’arrêt du 5 février 1963, Van Gend en Loos, dans lequel il est question d’un nouvel ordre juridique de droit international...

Cependant, les travaux préparatoires du projet de loi portant approbation de la Constitution européenne apportent des précisions quant à l’applicabilité restreinte de la Charte, c’est-à-dire quant à son champ d’application matériel :
-  la Charte s’applique tout d’abord dans la sphère des institutions européennes ;
-  en vertu du principe de subsidiarité qui veut que l’Union ne possède que les compétences qui lui ont été dévolues par les Etats membres, la Charte ne s’applique pas en-dehors du champ d’application de l’Union. Il faut y ajouter que le principe de proportionnalité de l’action communautaire doit être également respecté ;
-  lorsque des dispositions de la Charte qui contiennent des principes ont été mises en oeuvre par des actes législatifs et exécutifs des institutions et organes de l’Union ou par des actes des Etats membres lorsqu’ils mettent en oeuvre le droit de l’Union, leur invocation devant le juge n’est admise que pour l’interprétation et le contrôle de tels actes.

L’on remarque directement la différence qui peut exister avec la CEDH. La notion de champ d’application du droit communautaire semble recouvrir un espace bien délimité [4].

Il faut ensuite évoquer le champ d’application personnel de la Charte. Les droits fondamentaux sont destinés à être applicables à tout individu. Cependant, la règle de la particularité fait que certains droits fondamentaux ne bénéficient qu’à des catégories de personnes [5].

Ainsi les droits fondamentaux s’appliquent aux personnes physiques, tandis que les personnes morales peuvent être couvertes par certains droits, mais non pas par tous. Le droit à la dignité ne saurait être reconnu à une société commerciale, par exemple.

Les droits fondamentaux ne s’appliquent en principe qu’aux citoyens européens. Encore faut-il que la situation visée rentre dans le cadre du droit communautaire. Un citoyen pourra ainsi se dire la victime d’une violation d’un droit fondamental lorsqu’il fera usage de sa liberté de circulation. En revanche, une situation purement interne au Luxembourg n’engendrera pas l’application du droit communautaire. Soulignons encore que certaines personnes de pays tiers à l’Union européenne peuvent invoquer certains droits fondamentaux, comme les conjoints de ressortissants communautaires, qui ont un droit de séjour lié au droit au respect de la vie de famille.

Il résulte de tous ces développements que seule une situation rattachée au droit communautaire pourra faire naître un droit à invoquer la charte des droits fondamentaux. Dans le cadre d’une situation couverte par le droit communautaire, par exemple lorsqu’un ressortissant d’un pays membre vit dans un autre Etat et invoque un principe de protection de ses droits en tant que citoyen européen, il pourra demander au juge d’appliquer la charte européenne des droits fondamentaux et écarter telle décision contraire à ses droits.

Le juge luxembourgeois pourra soit faire application directe de la Charte, soit poser une question préjudicielle à la Cour de Justice des Communautés européennes, sise au Kirchberg. Il s’agit donc d’un mécanisme très différent de celui de la CEDH.

L’origine de la protection des droits de l’homme en Europe trouve son origine dans les cruautés de la deuxième guerre mondiale, ce que peu de citoyens savent. Le berceau de la Convention européenne des droits de l’homme ne se trouve « ni à Rome ni à Strasbourg. Il se trouve ailleurs, à savoir à Auschwitz et Bergen-Belsen, à Birkenau et Buchenwald, à Dachau et Dora, à Mauthausen et Neuengamme, à Ravensbrück et Sachsenhausen, à Struthof et Stutthof, à Sobibor et Treblinka etc » [6].

Ainsi, au moment où l’on vient de célébrer les 60 ans de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, un nouvel instrument de protection des droits de l’homme vient s’ajouter à ceux existant déjà. Il faut espérer que là se trouve véritablement le sens de l’histoire, celui d’un apprentissage par les horreurs du passé de la véritable voie à suivre par les sociétés européennes démocratiques, celle du renforcement des libertés fondamentales.

L’avenir nous dira quel impact réel aura la Charte européenne des Droits fondamentaux sur la vie quotidienne des ressortissants communautaires. Avec l’espoir que cette avancée des droits de l’homme ne soit pas seulement symbolique, mais puisse constituer véritablement un mécanisme de protection fort et efficace des droits fondamentaux.

François Moyse
Avocat à la Cour, membre luxembourgeois du réseau européen en matière de droits fondamentaux

[1] Franklin DEHOUSSE, Le traité constitutionnel de 2004 : le socle d’une nouvelle Europe ?, Journal des Tribunaux 2005 (B), p. 115

[2] cf. A. SPIELMANN, A. WEITZEL, D. SPIELMANN, La Convention européenne des droits de l’homme et le droit luxembourgeois, Editions NEMESIS 1991, p. 9

[3] cf. A. SPIELMANN, A. WEITZEL, D. SPIELMANN, ibid, p. 13

[4] le champ d’application matérielle, limite à la primauté du droit communautaire, M. Gautier et F. Melleray, in Revue des affaires européennes 2003-2004/1, p.31

[5] Droits fondamentaux communautaires et champ d’application personnel du droit communautaire, J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, in Revue des affaires européennes 2003-2004/1, p.61

[6] cf. A. SPIELMANN, A. WEITZEL, D. SPIELMANN, ibid, p. 15

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