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Besch, Sylvain : Quelle Europe pour les migrants et les réfugiés ? Avancées et limites du traité constitutionnel

Dans cette contribution, on s’interrogera sur les modifications apportées par ce projet de traité à la politique d’immigration et d’asile par rapport aux anciens traités. On se focalisera sur les dispositions du titre III du traité parlant des politiques et du fonctionnement de l’Union, et plus particulièrement du chapitre IV intitulé : Espace de liberté, de sécurité et de justice.

I. Quel chemin parcouru depuis le traité de Rome ?

Le fait de tracer l’évolution du cadre de la politique d’immigration et d’asile à travers les traités successifs nous permet d’avoir une idée du chemin parcouru et de mieux situer ensuite le nouveau projet de traité par rapport aux traités antérieurs.

-  Le traité de Rome (traité CE de 1957) déclare que l’action de la Communauté comporte l’abolition entre les Etats membres des obstacles à la libre circulation des personnes. Ce traité ne mentionne pas les ressortissants de pays tiers.
-  Le traité de l’Acte unique (1985) a assigné à la Communauté européenne la tâche de constituer un espace sans frontières intérieures, dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée avant le 31 décembre 1992. Dans des déclarations annexées à l’Acte unique, les Etats membres conviennent que la circulation des ressortissants d’Etats tiers relève de leur compétence et qu’ils sont prêts à coopérer face à cette problématique.
-  Le traité de Maastricht (1992) a introduit au niveau institutionnel un troisième pilier, de nature intergouvernementale, dans lequel la politique d’immigration devrait être définie dans le futur. Il regroupe la coopération intergouvernementale dans le domaine justice et affaires intérieures (ci-après JAI) autour de questions d’intérêt commun comme la politique d’asile, les règles de franchissement des frontières, la politique à l’égard de ressortissant d’Etats tiers en matière de conditions de séjour, de regroupement familial ou encore la lutte contre l’immigration irrégulière. Par ailleurs, le traité se trouve enrichi par l’introduction du concept de la citoyenneté européenne.
-  Enfin, le traité d’Amsterdam (signé en 1997) a créé le fameux espace de liberté, de sécurité et de justice sous la forme d’un objectif politique ambitieux à mettre en place dans un délai de 5 ans (jusqu’en mai 2004) à partir de l’entrée en vigueur du traité (1er mai 1999). Il aboutit à une communautarisation partielle des politiques d’immigration et d’asile. Les divers règlements ou directives en matière d’immigration et d’asile qui restent à être transposés en droit national se basent sur les dispositions du traité d’Amsterdam. Notons que le traité d’Amsterdam inclut aussi le fameux article 13 dans le traité instituant la Communauté européenne, article habilitant les institutions à combattre toute discrimination fondée, entre autres, sur l’origine raciale ou ethnique.

II. Aperçu des principaux points-clés

1. La non-discrimination et la citoyenneté
L’article III-124 du traité reprend l’ancien article 13 du traité CEE relatif au principe de non-discrimination qui figure comme un point clé de l’action de l’Union européenne. Toutefois, la non-discrimination ne constitue pas un principe absolu dans le sens où elle permet de concevoir des différences de traitement considérées comme légales. On y trouve aussi, à plusieurs endroits, la référence à la citoyenneté européenne ou la citoyenneté de l’Union avec des possibilités de dispositions dérogatoires concernant les modalités d’exercice du droit de vote des citoyens européens pour les élections municipales et européennes (article III-126).

2. Une avancée indéniable : l’intégration de la Charte des droits fondamentaux dans le futur traité
L’inclusion de la Charte dans le traité peut certainement être qualifiée d’avancée dans la mesure où elle accorde une valeur contraignante à cette charte pour toutes les institutions de l’Union européenne. Il en sera de même pour les Etats membres quand ils mettent en oeuvre le droit communautaire. Ainsi donc, si des particuliers estiment que ces droits ne sont pas respectés par la législation européenne ou le droit national découlant de celle-ci, ils peuvent saisir les tribunaux. En plus, les praticiens du droit peuvent se référer directement à ces principes. On peut citer à titre d’exemple l’article II-78 de la Charte aux termes duquel le droit d’asile est à respecter selon les règles de la Convention de Genève.

3. Vers une politique commune en matière d’immigration et d’asile
On remarque ensuite que le texte affiche l’ambition d’une politique commune en matière d’immigration et d’asile [1], alors que le traité instituant la communauté européenne n’évoque pas ce vocabulaire, préférant le terme de « mesures » à prendre dans les différents domaines. Au même titre, il faut saluer la terminologie de statut uniforme d’asile ou de protection subsidiaire, de système commun ou de procédure commune. Cette terminologie n’est pas neutre et on trouve là une ambition qui ne se trouvait pas auparavant dans le traité. Quel chemin parcouru depuis le traité de Rome (traité CE de 1957) qui ne mentionnait même pas les ressortissants de pays tiers !

4. Au-delà de simples normes minimales
Ensuite, le texte de la future Constitution parle de normes et non plus de normes minimales, comme c’était le cas du traité CE qui a servi de cadre juridique aux directives adoptées jusqu’à présent en la matière. C’est donc sur ce plan que le projet de traité élargit clairement les compétences par rapport au traité d’Amsterdam.

5. Communautarisation versus politiques nationales
D’après le projet de traité, les législations en matière d’intégration relèvent encore du droit national, ce qui n’empêche pas que de futures lois européennes puissent établir des mesures pour appuyer l’action des Etats membres qui favorisent l’intégration des ressortissants de pays tiers (article III-267§4). On rappelle dans ce contexte le récent accord intervenu au Conseil JAI (Justice et Affaires intérieures) du 19 novembre dernier concernant des principes communs en matière d’intégration.

Le texte laisse apparaître un important point de crispation autour de l’immigration économique [2], en réservant aux Etats nationaux de fixer les volumes d’entrée des travailleurs migrants (article III-267§5). Il faudra sans doute situer ce point en relation avec le fait qu’avec l’approbation du traité constitutionnel, le mécanisme de décision change pour passer de l’unanimité à la majorité qualifiée (voir ci-après).

6. Quelle concrétisation du principe de solidarité en matière de politique migratoire ?
Malgré l’affirmation de la solidarité comme principe de base (article III-268), on ne trouve plus dans le projet de traité de trace sur les mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir des réfugiés et des personnes déplacées et supporter les conséquences de cet accueil (actuel article 63§2b du traité CE). Il faudra être attentif à la manière dont ce principe se concrétisera au moment de définir les ressources financières de l’Union.

7. Quelle politique de contrôle aux frontières extérieures ?
Comme il fallait s’y attendre, la politique de contrôle de l’immigration garde une place centrale dans le texte de la Constitution. La suppression des contrôles aux frontières intérieures a comme contrepartie le contrôle aux frontières extérieures. L’article III-265 ne fait que reprendre grosso modo, sous forme d’une formulation plus claire, l’ancien article 62 du TCE, à deux exceptions près :
-  l’Union aura compétence pour prendre « toute mesure pour l’établissement progressif d’un système intégré de gestion des frontières extérieures », ce qui devrait se traduire, avant même la Constitution, par la création d’une agence européenne des frontières afin de mieux coordonner le contrôle et la surveillance des frontières extérieures ;
-  l’Union est désormais invitée à développer une politique commune de visas (développée jusqu’à présent dans l’espace Schengen) pour l’admission des ressortissants de pays tiers pour des séjours de moins de trois mois.

A l’heure actuelle, on est en train de réfléchir, au niveau de l’Union européenne, à l’introduction d’éléments d’identification biométriques dans les visas et les titres de séjour.

8. L’évolution du cadre institutionnel
L’impulsion d’un futur traité constitutionnel pour les contours des politiques d’immigration et d’asile n’est pas à négliger. Quel impact la Constitution européenne aura-t-elle sur le processus d’harmonisation qui reste possible là où la Constitution ne l’exclut pas expressément ? Quelle impulsion peut-on attendre pour développer une politique commune ? Cette question est à mettre en rapport avec l’évolution du cadre institutionnel. Si la Constitution entre en vigueur, il convient d’ores et déjà de retenir que toutes les propositions en matière d’asile et d’immigration seront adoptées conjointement par le Conseil (par un vote à la majorité qualifiée) et par le Parlement européen, en lieu et place d’un vote à l’unanimité au sein du Conseil où les députés européens n’ont qu’un rôle consultatif. Les Etats membres n’auront plus le droit d’opposer leur veto en matière JAI. Par ailleurs, la Cour de justice européenne aura compétence préjudicielle. Il faudra suivre de près l’évolution de la jurisprudence en matière de politique d’immigration et d’asile à partir du moment où la Cour de Justice aura compétence en ces matières. Si ce processus décisionnel et juridictionnel est déjà applicable à partir du 1er janvier 2005 dans les domaines qui nous intéressent, avec l’adoption de la Constitution il s’étendra aussi au point clé de l’immigration légale.

III. La construction de l’espace de liberté, de sécurité et de justice dans la perspective des migrations : un devoir de vigilance de tous les instants

On ne peut qu’être frappé par le décalage qui peut exister, à l’heure actuelle, entre, d’une part, ces lignes d’orientation et objectifs et, d’autre part, le contenu des directives adoptées ou en voie d’adoption en la matière.

Les instruments de droit communautaire en la matière qui portent, comme nous l’avons précisé, sur des normes minimales, s’apparentent à des textes qui semblent éviter le rapprochement des législations ou des pratiques administratives au niveau de l’asile et de l’immigration. Sous cet angle, on est donc loin d’une politique commune [3]. Une des conséquences est qu’on se trouve face à des textes techniques, dans lesquels on ne trouve plus guère l’ambition politique affichée par les chefs d’Etat et de gouvernement au Conseil européen de Tampere. Il a fallu attendre le projet de traité pour se rappeler ces objectifs politiques. L’élaboration d’une politique commune en matière d’immigration et d’asile, basée sur des normes communes de standard élevé, demande toute notre attention.

Le texte du projet de traité parle de l’Union comme d’un espace de liberté, de sécurité et de justice, appelé à fonctionner dans le respect des droits fondamentaux. On peut s’interroger sur le fait de savoir si la construction de l’espace de liberté, de sécurité et de justice répond toujours, et de manière suffisante, à cette orientation [4] :
-  Ainsi, on peut se demander si certaines dispositions des directives européennes en matière d’asile respectent la Convention de Genève. En particulier, il convient de mentionner les dispositions relatives au pays tiers sûr ou à la protection à l’intérieur du pays, contenues dans la proposition de directive procédure et la directive qualification.
-  La problématique est aussi particulièrement manifeste si certains droits ne sont pas clairement mentionnés dans la Charte, comme c’est le cas du droit au regroupement familial même si l’article II-69 relatif au droit de se marier et de fonder une famille est à situer aussi par rapport à l’article 8 de la Convention européenne des droits fondamentaux (CEDH).

A l’heure actuelle, le texte de la Constitution traite du regroupement familial uniquement en termes de mesures à prendre [5]. La directive sur le regroupement familial a été adoptée le 22 septembre 2003. Le 22 décembre de la même année, le Parlement européen a introduit un recours [6] contre le Conseil de l’Union européenne devant la Cour de Justice des Communautés européennes considérant que plusieurs dispositions sont inacceptables et violent les droits fondamentaux à la vie familiale et à la non-discrimination tels qu’ils sont garantis par la CEDH. Il s’agit entre autres de la possibilité prévue pour les Etats membres de soumettre, sous certaines conditions, le regroupement familial des enfants de plus de 12 ans à des conditions supplémentaires.

IV. Pour conclure

On peut considérer que, dans le domaine de l’immigration et de l’asile, le projet de traité, tout en consolidant les principaux acquis, comporte globalement des améliorations par rapport aux traités antérieurs en ce qui concerne la substance et le cadre institutionnel. En particulier, on rappelle :
-  la valeur contraignante apportée à la charte des droits fondamentaux ;
-  la définition d’objectifs politiques en matière d’immigration et d’asile ;
-  la communautarisation pleine et entière de la politique d’immigration et d’asile avec un renforcement considérable de la légitimité démocratique (co-décision du parlement européen) et une extension de la compétence de la Cour de Justice européenne.

Le projet de traité fait aussi apparaître les points de crispation lorsqu’il s’agit d’aborder l’immigration économique ou le partage équitable des responsabilités en cas d’afflux massif de réfugiés.

Il est vrai que la terminologie utilisée de projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe est susceptible d’induire en erreur pas mal de citoyens. En se plaçant dans l’optique d’attentes de citoyens par rapport aux contours d’une Constitution effective, à l’instar des Constitutions nationales, il est vrai qu’on peut rester sur sa faim. Une Constitution vient normalement au départ, alors qu’ici on a l’impression qu’elle vient souvent à la fin. On est en présence plutôt d’un projet de traité jetant les bases d’une future Constitution européenne remplaçant les traités de Rome et de Maastricht [7].

Si tout traité est susceptible d’être amélioré par la suite, il conviendra de veiller dès maintenant à ce que la législation communautaire soit respectueuse des droits fondamentaux et qu’elle se construise à l’avenir sur des normes communes de standard élevé.

Sylvain BESCH
SESOPI-Centre Intercommunautaire

[1] On trouve ici une terminologie proche des conclusions de la présidence du conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999.

[2] Sur ce point très précis, on rappelle que la proposition de directive réglant les conditions de l’immigration économique a échoué.

[3] Plusieurs techniques d’échappatoires sont en effet utilisées dans les directives : On remet certaines dispositions dans le préambule des directives (il y a souvent plus de considérants que d’articles) ; les directives sont assorties de déclarations du Conseil ou d’Etats membres relatives à l’interprétation de certains textes ; il existe des dérogations taillées sur mesure (p. ex, l’article traitant des conditions d’intégration dans la directive sur le regroupement familial) ; il y a intégration de concepts ambigus dans le texte des directives (ex. : article 15 C de la directive qualification) ; il y a renvoi au droit national concernant l’accès à l’emploi des demandeurs d’asile ; on introduit dans les textes des dispositions juridiquement non contraignantes (clauses facultatives) ; il y a la possibilité pour les Etats de prévoir des dispositions plus favorables, voir : Réseau Odyssée, 3ème Congrès européen des juristes spécialistes des questions d’immigration et d’asile en Europe, Politique européenne d’immigration et d’asile, Evaluation 1999-2004, Paris, 10-11 juin 2004.

[4] La même remarque est valable pour les directives en ce qui concerne l’articulation entre les considérants, d’une part, et les articles, d’autre part. Si le rappel d’une clause constitutionnelle avait pu donner le cadre de l’action législative, il n’est pas sûr, en revanche, qu’un tel rappel, à lui seul, aurait suffi pour garantir la cohérence des articles des directives avec le texte de la Constitution. Il aurait sans doute fallu préciser, en plus et au moment des négociations des directives, des lignes d’orientation concernant tel ou tel concept ou la formulation de telle ou telle règle.

[5] L’article III-267, paragraphe 2a ne fait que reprendre un paragraphe du traité CE.

[6] JO C 47 du 21.2.2004, p.22. Ce recours vise l’annulation, en application de l’article 230 CE des § 1 (dernier alinéa) et 6 de l’article 4 et de l’article 8.
Article 4§1 (dernier alinéa) : par dérogation, lorsqu’un enfant a plus de 12 ans et arrive indépendamment du reste de sa famille, l’Etat membre peut, avant d’autoriser son entrée et son séjour au titre de la présente directive, examiner s’il satisfait à un critère d’intégration prévu par sa législation existante à la date de la mise en œuvre de la présente directive.
Article 4§6 : par dérogation, les Etats membres peuvent exiger que les demandes concernant le regroupement familial d’enfants mineurs soient introduites avant que ceux-ci n’aient atteint l’âge de 15 ans, conformément aux dispositions de leur législation en vigueur à la date de la mise en œuvre de la présente directive. Si elles sont introduites ultérieurement, les Etats membres qui décident de faire usage de la présente dérogation autorisent l’entrée et le séjour de ces enfants pour d’autres motifs que le regroupement familial.
Article 8 : Les Etats membres peuvent exiger que le regroupant ait séjourné légalement sur leur territoire pendant une période qui ne peut dépasser deux ans, avant de se faire rejoindre par les membres de sa famille. Par dérogation, lorsqu’en matière de regroupement familial la législation existant dans un Etat membre à la date d‘adoption de la présente directive tient compte de sa capacité d’accueil, cet Etat membre peut prévoir d’introduire une période d’attente de trois ans au maximum entre le dépôt de la demande de regroupement familial et la délivrance d’un titre de séjour aux membres de la famille.

[7] Le mandat de la convention européenne n’était justement pas d’établir une Constitution européenne.

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