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Gaston Vogel : Discours sur le projet de Constitution européenne

QUANT AU NON-SENS DU SCRUTIN

Les jeux sont faits, d’entrée de jeu.

Le projet de Traité est mort et il est mort pour longtemps.

Et pourtant - quelques têtes de mule nous obligent à nous prononcer envers et contre tout bon sens sur le destin de ce cadavre. C’est idiot et provocateur.

Deux grands pays, fondateurs de l’Union, ont en effet massivement dit non à un texte qui n’est ni un traité, ni une Constitution, mais une jungle de dispositions hétéroclites, sui generis, rédigées dans le style alambiqué, soporifique des juristes et s’articulant toutes autour d’un pivot central : le libéralisme - la substantifique moelle du document qu’on met au vote des citoyens.

Les deux pays qui ont dit NON n’ont à recevoir en chose de démocratie aucune leçon d’aucun autre pays. N’oublions pas que c’est d’eux, de leur histoire difficile et douloureuse que nous tenons les libertés dont nous sommes si fiers. Un message négatif venant de ces pays est un signal grave, que seuls d’incorrigibles innocents puissent continuer à ignorer.

Tout le monde est d’accord à reconnaître que depuis ces NON, auxquels il faut ajouter le fiasco de Bruxelles d’où aucun message n’est sorti, quoiqu’on en dise, le projet qu’on soumet au vote de nos citoyens est un cadavre, qui à l’instar de tous les cadavres, est rebelle à toute velléité de résurrection.

Pourquoi alors maintenir ce vote envers et contre tout bon sens - et surtout envers et contre toute utilité et efficacité ? Quel éclair d’intelligence que de dire que le 10 juillet sera le jour le plus long de l’histoire luxembourgeoise, alors que la planète entière serait dans la fiévreuse attente du résultat sortant du chapeau magique du petit géant européen, pour rester fidèle à la terminologie appropriée de Louis Michel !

Il faut être mégalomane pour sortir de telles bourdes ! Serait-ce un effet de la canicule de ces derniers jours ?

Le scrutin, qu’il soit positif ou négatif, sera pour les chats.

Ne nous laissons pas berner par les superbes qui nous gouvernent et qui, dans leur narcissisme, veulent nous faire faire un cirque qui, tout en nous valant la risée du monde entier, leur permettrait, dans l’hypothèse d’un oui, de continuer à briller encore pour un court après-midi.

D’où une première nécessité de dire NON !

QUANT AU FOND

Un tout premier argument pour dire NON est d’ordre purement technique.

Dans la mesure où il serait possible de parler en l’espèce d’un projet de Constitution (ce qui n’est pas le cas), il faut constater que contrairement au principe qui veut qu’une Constitution soit lisible pour permettre un vote populaire, le texte qu’on nous propose est totalement illisible.

324 pages pour ses quatre parties, auxquelles s’ajoutent 460 pages pour ses deux annexes, 36 protocoles et 50 déclarations - un somnifère.

Je ne connais aucun cas dans l’histoire du droit constitutionnel du monde entier, où des gouvernements aient eu l’idée saugrenue de faire adopter par un oui ou un non une loi fondamentale, noyée dans un océan de paragraphes, sections, chapitres, sous-sections, annexes, protocoles et que sais-je. C’est de l’inédit de très bas étage.

Il y a ceux qui parlent d’un vote global. Selon eux, il s’agirait d’approuver une idée (quelle idée ?) - le détail serait "of the smaller consequence". Ceux qui tiennent ce langage sont précisément ceux-là mêmes qui non seulement n’ont rien lu, mais vont jusqu’à refuser de lire. Ils sont légion. Le camp du oui est majoritairement recruté parmi ces insouciants. Pour eux, les 448 articles soumis au vote sont de la broutille.

Parler d’un vote global, en fermant les paupières sur les dispositions qui font le projet, n’est rien moins qu’une ânerie.

Il suffit en effet de ne pas être d’accord avec l’une ou l’autre disposition, pour qu’un vote par oui soit exclu. La logique est à ce prix !

A tout cela, s’ajoute que le texte est si étendu que pour s’y retrouver, il faut un compas fiable. Ainsi pour trouver les domaines où soit l’Exécutif, soit le Parlement ont compétence pour légiférer, il faut aller à la pêche.

Il faut dire NON aux farfelus qui nous soumettent une telle salade.

*

Un deuxième argument se dégage aussitôt des considérations que je viens de développer.

Une Constitution doit être politiquement neutre. Il suffit de constater qu’elle ne l’est pas pour que le NON s’impose.

Une Constitution est une religion sans dogmes ! Elle n’est ni de gauche, ni de droite. Elle doit valoir pour chaque citoyen.

Or, le projet en discussion arrête le jeu politique. Dans toutes ses parties, il opte pour le libéralisme. Il impose pour toujours des choix de politique économiste - de marché ; ce marché, qui à entendre JUNCKER, lui donnerait tant de démangeaisons :

Concurrence, liberté d’entreprise, liberté d’établissement, libre circulation des capitaux, libre circulation des marchandises, libre circulation des services ... voilà le chapelet des dogmes du libéralisme qu’on veut inscrire en marbre pour toujours.

N’est-il pas symptomatique de voir apparaître dans ce texte 176 fois le mot banque, 88 fois le mot marché, 29 fois le mot concurrence, 23 fois le mot capitaux alors que les concepts culture et social font partie des petits vocables du projet. Nous touchons là le bas-fond des quantités négligeables.

Si je parle de pérennité, c’est que je vise l’irrévisabilité de cette pseudo-Constitution.

Le texte est en effet verrouillé pour une durée illimitée par une exigence de double majorité. Pour changer une virgule, il faut :
-  l’unanimité des Gouvernements
-  l’unanimité des peuples pour le ratifier.

Au regard de la parfaite entente entre les 25 et des sournoises idées atlantistes qui habitent d’aucuns, le score de la modification a de solides chances de n’être jamais atteint.

Cela revient en conséquence à une toute sérieuse potentialité d’immutabilité, ce qui n’est rien moins qu’une absurdité.

D’où la question à ceux qui, tout en reconnaissant que le projet n’est guère parfait, qu’il nécessite tôt ou tard des corrections et ajustements (JUNCKER est de ceux-là !) "quand et comment entendez-vous modifier un texte condamné à rester, faute d’une double unanimité, figé jusqu’à la disparition de l’Union".

D’où une autre raison péremptoire pour voter NON !

*

PROGRES SOCIAL

Le grand reproche que j’adresse aux protagonistes du oui, c’est de vouloir faire admettre au citoyen que le projet de traité contiendrait une nette avancée sociale par rapport à tout ce qu’on aurait connu jusqu’à présent.

C’est un argument qui prend l’eau de toutes parts.

Le siège de la matière se trouve à l’article III - 210.

Philippe Marlière, professeur à London University écrit au Monde du 10 juin : Valéry Giscard d’Estaing a donné suite à toutes les exigences britanniques en faveur du moins-disant social. Aucun représentant social-démocrate à la Convention n’a pu ou voulu combattre la pensée unique (c’est-à-dire le libéralisme) qui pourtant constitutionnalise ce déficit social.

Et en voici les retombées dans le texte :

a) Si le libéralisme devient le grand leitmotiv de l’Union, la politique sociale restera pour l’essentiel de la compétence nationale. Une déclaration annexée à la Constitution précise que les mesures prises par l’Union dans des matières comme l’emploi, le droit du travail, les conditions de travail, le droit syndical ne peuvent servir à harmoniser les systèmes nationaux.

b) Il y a eu tout au long des discussions autour de l’article III - 210 une absence de consensus qui n’a pas permis d’aller au-delà de ce que prévoyait le Traité de Nice. Restent ainsi soumis à un vote du Conseil à l’unanimité, après consultation du Parlement Européen (vous remarquez le mot consultation ! - si peu pour un organe représentatif de l’ensemble des citoyens).

-  la sécurité sociale et la protection sociale des travailleurs
-  la protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat d’emploi
-  le droit syndical

Il suffit d’imaginer un vote négatif des Britanniques et on n’a pas besoin d’être particulièrement inventif pour le faire, pour que les projets les mieux intentionnés aillent rejoindre les poubelles grandes ouvertes du libéralisme.

c) L’article III-210 contient une disposition qui est régulièrement passée sous silence et qui en dit long sur la philosophie sociale inscrite en filigrane dans le projet de traité.

Tout ce qui pourrait contrarier la pensée unique, c’est-à-dire le libéralisme est à éviter. La pensée unique est primordiale.

"Dans les domaines visés au paragraphe 1er : amélioration du milieu du travail, conditions de travail, sécurité sociale, résiliation du contrat d’emploi, etc, la loi-cadre européenne doit éviter d’imposer des contraintes administratives, financières et juridiques (on ratisse large) telles qu’elles contrarieraient la création et le développement de petites et moyennes entreprises".

Le souci principal et qui prime toutes autres considérations est resté ainsi fondamentalement ce qu’il était, sous un léger changement de vernis sémantique, à savoir le bon fonctionnement du marché commun. Dire que l’article III-210 instaurerait un état nouveau, c’est prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages.

*

Je dirais à l’adresse des socialistes, à ceux-là mêmes qui préconisent avec tant de passion le oui pour un texte qui pérennise la pensée unique, qui est aux antipodes des convictions qu’ils affichent, qu’ils feraient bien, l’honnêteté intellectuelle est à ce prix, de rejoindre les rangs des libéraux et de cesser de faire miroiter aux gens une pensée qui leur est en réalité étrangère, à laquelle ils ne croient plus - Nous touchons là le fond de la vase qui asphyxiera tôt ou tard la social-démocratie. Un des rares points positifs qui se dégage de tout ce débat, c’est que cela au moins soit devenu évident. On les a vus tout récemment déboussolés à Vienne - des enfants perdus dans le maïlstrom de la mondialisation.

Un mot sur le Bolckesteinisme.

Le Bolckesteinisme est emblématique pour la pensée unique.

Les articles III-144 et III-150 sont de sinistre augure pour de futures nouvelles aventures bolckesteiniennees "les Etats membres, lisons-nous, s’efforcent de procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire"*.

La voie de la privatisation des services publics est inscrite dans le texte qu’on soumet au vote de nos citoyens.

Une nouvelle et inquiétante terminologie fait son apparition dans les articles III-122 et III-166,167 : "services d’intérêt économique général" soumis à la loi de la concurrence et qui ne peuvent plus bénéficier d’aides de l’Etat s’ils menacent de fausser la concurrence.

Il faut reconnaître comme l’a récemment soutenu Paul Magnette, président de l’Institut d’Etudes Européennes de l’ULB, que cette pensée unique (à savoir que c’est le marché qui ajuste) d’inspiration anglo-saxonne, pour ne pas dire atlantiste, a eu le dessus.

Autre raison pour voter NON !

*

Enfin, j’ai à cœur de rendre attentif à la puissante présence de l’OTAN au sein du projet qu’on nous propose. Et si je dis OTAN, je dis Etats-Unis d’Amérique, étant entendu que ce sont eux qui dirigent cette Institution purement militariste engagée en ce moment dans une stratégie d’encerclement de la Russie, qui porte en elle le germe d’un conflit majeur.

L’OTAN aux termes de l’article 1-41 reste pour les Etats qui en sont membres (et tel est le cas pour une majorité d’entre eux) le "fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre".

Le lien transatlantique reste ainsi essentiel. Il résulte donc de ce texte "que dans le domaine de la sécurité et de la défense, la main de fer des USA est dominante et dominatrice".

Je ne veux pas d’une Europe atlantiste.

Je ne veux pas d’une Europe qui serait le mamelouk des Etats-Unis.

D’où une autre raison pour dire NON !

*

CONCLUSION

Le NON est requis pour permettre une remise à plat des valeurs et des règles du vouloir vivre en commun de la vieille Europe et pour montrer une bonne fois pour toutes à ceux qui décident par-dessus de nos têtes que nous en avons ras-le-bol de cette politique de mépris pour le petit homme que nous sommes.

Le NON est un signal fort à l’adresse de tous ceux qui veulent imposer partout dans le monde et au mépris des citoyens, un unique modèle économique, celui qui définit le dogme de la globalisation.

Ce vouloir vivre ne saurait se réduire à son degré zéro qu’est la liberté de circulation des capitaux, des biens, des services, voire des personnes.

Et je conclus en disant avec Igazio Ramonet, rédacteur en chef du Monde diplomatique, que le NON permet tous les espoirs.

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